Défaire le fascisme partout – ne pas céder aux terreurs des dirigeants.

Voilà quelques jours que nous avons tous en tête le scrutin de demain et les enjeux qu’il comporte. Chacun d’entre nous fera ce qu’il pense être bon dans les circonstances. J’ai un commentaire.
Je ne me reconnais pas dans les valeurs (je prends un mot du moment qui mérite débat) du FN mais je ne me reconnais pas non plus dans celles du gouvernement en exercice ni dans celles du précédent. Ce ne sont pas mes valeurs que la déchéance de la nationalité, que le contrôle et la culpabilisation des chômeurs en période de crise, que l’assignation arbitraire à domicile de militants écologistes sous le prétexte de leur radicalité, – et on est tous le radical d’un autre !, que le bombardement aveugle de villes syriennes et des civils qu’elles abritent, qui iront renforcer les rangs des fanatiques de l’Islam (Une bombe est une bombe, qu’elle soit envoyée par Bashar ou par la France), que la stigmatisation des réfugiés syriens, que la dénonciation à la préfecture des militants qui bravent l’état d’urgence pour manifester en faveur de ces réfugiés, que la création de fichiers de délinquance à partir de l’école primaire, que la dérogation aux droits de l’homme, que la mise à genoux du peuple grec et de son désir de s’émanciper du diktat d’une dette contestable, que le meurtre policier d’un militant écologiste bien peu débattu, bien peu enquêté, que la constitutionalisation de l’état d’urgence….
Le plus inquiétant, si on y regarde bien, c’est que le jour où les fascistes arriveront au pouvoir, ils n’auront rien à changer, tout aura déjà été préparé pour eux. Le fascisme appelle le fascisme et ce n’est pas dans la surenchère fascisante qu’on fera reculer le FN. En 2002 les électeurs faisaient front aux présidentielles avec déjà les mêmes discours. Rien n’a vraiment changé. Aujourd’hui on nous rejoue la ritournelle du sursaut citoyen. La gravité de la situation exige par rigueur que nous n’accordions pas le crédit de sauveur à ceux qui, si ils y arrivent, seront élus de justesse face à l’extrême droite sous menace d’un chantage douteux.
Car la surenchère devient délirante : la conservation du pouvoir se jouera au prix du sang : Notre premier ministre en exercice nous met sous la menace d’une guerre civile en cas de victoire du FN! Je refuse ce jeu immonde, ces déclarations va-t-en-guerre, cette escalade de la peur ! Je lui interdit, puisqu’il est sensé me servir à titre collectif, de se draper du rôle de champion d’une démocratie à qui il a fait plus de tort, pour l’instant, que les aspirant despotes dont ils prétend nous protéger. Je suis atterré par le peu de réaction journalistique face à une telle promesse. La peur du FN n’excuse pas tout. Qu’exprime-t-il par là, si ce n’est une exigence de reconnaissance de sa politique par la peur du pire, et quelle figure doit-il maintenant dresser du pire pour que nous nous tournions encore vers lui ? Ou pire encore, est-ce là chez lui l’expression d’un désir larvé ? Une ambition napoléonisante de devenir notre guide et notre garant de la république sur le champ de mars?
Selon ses termes, les électeurs du FN seraient victimes d’une « arnaque » ? Non, non, non. Il suffit enfin de mépriser à ce point des électeurs, ou par extension le peuple qui serait trop bête pour se gouverner correctement. La démocratie c’est avant tout comprendre que toute liberté individuelle n’existe que dans la solidarité collective. Je ne dis pas ça seulement pour dénoncer les politiques menées sous notre cinquième république, et les jeux d’arrangements de classe qu’elles recouvrent, qui font le beau jeu des discours frontistes. Mais aussi pour réaffirmer cette évidence qu’il faut cesser de dire que le danger c’est l’autre. Le danger c’est nous. Nous, en tant que collectif, nous sommes pris d’une gigantesque pulsion de mort. Nous, en tant que collectif, nous sommes dans l’expression d’une violence ouverte contre nous même. Mais ça, ce n’est pas le FN qui en est la cause. Le FN propose un dépotoir à toutes les rancoeurs, à tous les ressentiments. Le FN n’a pas eu besoin de générer du ressentiment. Ce ressentiment est venu de la menée constante de politiques de défiance de l’autre. De mise en concurrence de chacun avec tous, au profit d’une oligarchie restreinte et de ses représentants qu’on ne peut nier être toujours les mêmes [1]. Nous avons fini par perdre notre amour propre collectif.
On peut sans difficulté rejeter la ritournelle de la classe au pouvoir. L’histoire n’est pas finie. Nous n’avons pas à choisir entre eux et le désastre. Ils ne sont le rempart contre aucun fascisme, fusse-t-il terroriste ou républicain (car si le FN n’est pas républicain alors pourquoi n’est-il pas interdit ?). Ils sont ceux par qui le fascisme arrive en ce moment [2]. L’histoire n’est pas finie. Ne serions nous pas tout simplement présomptueux de croire que nous n’aurions pas à remettre en cause notre façon de partager le monde, de faire de la politique ? Il faudra dès lundi entrer dans nos profondeurs et regarder notre malaise en face, c’est à dire nous-mêmes et pas un autre.
Non, cette classe politique n’est pas plus compétente à nous gouverner que nous ne le sommes nous-même. La démocratie c’est le gouvernement du peuple par lui-même et non par des représentants qui ne reculent devant aucune extrémité pour nous maintenir dans la croyance qu’ils sont les seuls à pouvoir nous sauver de dangers et terreurs qu’ils savent si bien entretenir. Il n’y a pas de sauveur. Nous sommes nous, eux ne le sont pas, nous n’avons pas besoin de maîtres.
Contre Thanatos, Eros. Contre les pulsions de mort, pulsions de vie.
Lundi, fermons radios, journaux et télévisions. N’écoutons plus le vacarme des experts qui savent si bien nous interpréter, très bien parler à notre place, nous dire ce qu’il faut penser ; et dont nous nous rendons compte, à chaque fois qu’ils traitent d’un sujet que nous connaissons bien, qu’ils ne disent que des conneries. Mais ils parlent de tout, sont experts sur tout. Cessons de croire aux compétences supérieures.
Lundi, refusons tous ces discours permanents de défiance et d’angoisse dans lesquelles les classes dirigeantes nous ont enfermés. Laissons nous, au contraire, envahir et gagner par les rêves qui nous disent que nous sommes bien autre chose que ce que nous croyons être, et peut-être plus encore. Ne savez vous pas que ce qu’on vous nomme réalité n’est qu’une fiction qu’on écrit à votre place pour vous ? Prenons le stylo. Ecrivons-là nous même, la vie. Refusons cette réalité qui nous accable maintenant tous, – sauf les 500 plus fortunés de France dont la richesse a quadruplé en une décennie[3]. Refusons cette réalité qui prend les noms de dette, de chômage, de radicalisme islamique, de croissance, d’entreprise, de COP 21, de dopage, etc.
Quel que soit le résultats du vote, que vous ayez vôté ou non, quoi que vous ayez voté en ces temps où il devient patent que voter n’a rien à voir avec le désir, lundi retrouvons nous dans les cafés, sur les places, dans les théâtres. Parlons, parlons avec nos mots et non avec les éléments de discours qu’ils nous distillent sans fin et faisons entendre que nous ne voulons plus d’une façon de gouverner qui ne peut se maintenir à terme que par la guerre, par l’état d’urgence et la guerre civile.
Gaël Leveugle
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