A la sortie de la conférence pour l’emploi – Sam Churin

Quel bilan pouvons-nous faire d’une conférence pour l’emploi où les conclusions semblent déjà actées avant qu’elle ne commence ?

Nous savons qu’une fois encore nous ne serons pas entendus, nous savons que nos mots mille fois répétés resteront lettres mortes.
Ce programme semble rester sourd à la réalité du conflit.
Quand 6 millions de personnes sont au chômage, on fait mine de penser que le plein emploi demeure un horizon indépassable. Or le plein emploi n’existe pas et n’a jamais existé. Le conflit réel, que d’aucun voudrait taire, est celui des droits sociaux ! En cela l’annulation de la dernière convention d’assurance chômage par le Conseil d’Etat n’est pas un simple « aménagement technique » comme l’a déclaré la nouvelle ministre du travail Myriam El Khomri. Les pratiques de Pôle Emploi consistant à ne pas accepter des heures déclarées tardivement tout en les prenant en compte pour réclamer des indus, ces pratiques reconnues aujourd’hui comme illégale et qui ont poussé Djamal Chaar à s’immoler par le feu devant une agence de Nantes, ce n’est pas un aménagement technique.
Dans le discours du premier ministre, comme dans celui de beaucoup d’autres, on a retrouvé la petite musique du « trop ». Il y a « trop ». Trop de métiers dans cette liste trop longue, trop d’entreprises, trop de compagnies, trop de contrats courts, trop de films, trop d’intermittents et enfin trop de spectacles que vous Mme la ministre de la culture allez « devoir vous taper » (je cite François Hollande).
Mais pourquoi sommes-nous le seul secteur à être traité de la sorte ? On s’enthousiasme en évoquant les domaines vivifiants des PME, TPE, des start up, mais quand il est question de culture toute l’énergie est concentrée au contraire sur la réduction. Au lieu d’accompagner, au lieu de se réjouir de ce foisonnement, on ne pense qu’à circonscrire.
Cette politique du « trop », sachez que nous ne l’accepterons jamais.
Cette politique du « trop » se refuse à l’invention de nouveaux droits sociaux et tente, contre vents et marées, de faire rentrer la réalité des pratiques d’emploi actuelles dans des schémas archaïques. Pourquoi continuer à nier, pour ne citer qu’un exemple, la position d’employeur-employé qui est la réalité de 56% des artistes du spectacle vivant en province ?
Vous n’avez comme seul guide que le totem de l’entreprise, mais en terme culturel, il ne s’agit pas d’accompagner des « entreprises », mais des œuvres et des artistes. La pauvreté de ce raisonnement vous amène à essayer de réduire la diversité et la richesse d’un secteur que vous proclamez pourtant si important pour une démocratie.
Votre politique sociale continuellement à charge, basée sur une obsession de l’emploi permanent, à l’heure où plus de 80% des embauches se font en contrat court, fait peser une présomption de culpabilité insoutenable sur les intermittents comme sur l’ensemble des chômeurs.
Ainsi sont mis en place des labels, ou des certifications sociales sur des critères qui visent à éliminer toutes les structures qui n’auront pas les moyens de créer des emplois permanents. Nous le redisons pour la millième fois, nous ne sommes pas contre la permanence à condition qu’elle soit choisie. De même nous avons toujours soutenus les salariés « permittents » dans leurs demandes de réintégration en CDI. Mais c’est une erreur majeure que de faire de la permanence un préalable à des droits sociaux ou à une subvention. Il faut au contraire que les millions d’euros versés jusqu’à présent pour palier le différé d’indemnisation, aillent aux plus précaires, aux plus pauvres, sur les seuls critères d’accompagnements de projets. Alors, ces structures qui peinent à respecter les conventions collectives, je veux parler des compagnies qui dans le spectacle vivant composent 80 % du festival d’Avignon off, celles qui dans l’audiovisuel représentent la grande majorité des documentaires et films courts, alors oui, ces « entreprises » comme vous les appelez pourront respecter les critères que vous exigez.
Tous les metteurs en scène, tous les réalisateurs maintenant reconnus, absolument tous, ont commencé avec des projets pas payés, ou mal payés, qui ne répondaient à aucun des labels ou certifications sociales. Tous ont eu heureusement la possibilité d’être accompagnés. Tous sont la preuve qu’il ne faut pas interdire sur la base de critères qui n’ont aucun sens, mais au contraire aider plus encore.
La certification sociale déjà mise en place dans une partie du secteur audiovisuel va engendrer deux catégories de salariés : à activité égale, les uns seront éligibles au régime spécifique d’assurance chômage, les autres pas. C’est aussi aberrant que profondément injuste.
De même, votre politique pousse les plus faibles à porter le risque social de votre incohérence : vous confiez aux artistes une mission de démocratisation culturelle à travers l’accompagnement et le développement des pratiques amateurs que vous avez inscrit dans la loi sur la liberté de création, alors que ces périodes de travail ne peuvent même pas être prises en compte pour les droits au chômage de l’annexe 10 parce que ces mêmes artistes ne sont pas reconnus comme tels lorsqu’ils exercent ces activités. En considérant les problèmes uniquement du côté de l’emploi, vous creusez dangereusement le clivage entre les précaires. La solution est pourtant simple, on vous l’a déjà dit : construire des droits sociaux pour tous, sans oublier les malades et les femmes enceintes, adaptés aux réalités de l’emploi discontinu.
Les plus faibles, les plus pauvres, les plus précaires, les laissés-pour-compte, les « trop », toujours plus contrôlés, toujours plus ciblés, sauront vous rappeler que cette politique est définitivement inacceptable.
Et pour conclure, je voudrais citer cette phrase de Jankelevitch : « il y a tragédie chaque fois que l’impossible se joint au nécessaire. ». Et bien faisons en sorte que le nécessaire soit possible pour éviter la tragédie.